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L’Arctique victime de ses richesses

Écrit par Medhi Colle

Le terme arctique désigne, en géographie, cette immense étendue glacée présente dans le grand nord. Sa position exacte peut être définie de plusieurs façons qui font référence, tantôt à des coordonnées, tantôt à des critères de températures. La plus courante la place au dessus du cercle polaire. Dans une zone bordée par six pays, parmi lesquels le Canada, les États-Unis ou encore la Russie. Dans l’imaginaire collectif, l’Arctique est souvent une zone  »morte  », loin de tout, inhospitalière avec les ours polaires pour seule trace de vie. Pourtant, cet espace n’est pas dépourvu d’habitants. Des peuples autochtones, comme les Inuits ou les Sami, occupent bel et bien ces zones. Ces peuples se battent pour leurs droits depuis des décennies face aux pressions des sociétés occidentales. Les immenses ressources présentes sur leur territoire attirent les grandes compagnies et leur parole peine à peser face aux profits potentiels. Ils représentent pourtant, selon certaines estimations, entre 500 et 600 mille personnes réparties en petites communautés. Chasseurs, pêcheurs ou éleveurs nomades, cultivent un mode de vie simple, privilégiant l’harmonie avec la nature. Ils migrent au gré des déplacements des grands troupeaux de cervidés ou suivent le mouvement des populations de phoques, leurs principales sources de nourriture.

Aujourd’hui leurs traditions s’effacent dans un profond mutisme. Beaucoup de ces communautés ont déjà renoncé au troc et à leur mode de vie nomade, et leur langage peine à se transmettre de génération en génération. Une cause à tout cela : la présence de ressources énergétiques, estimées abondantes dans les sous-sols de ces vastes étendues. La difficulté de ces terrains gelés et les risques de potentiels incidents ont longtemps tenu à l’écart les projets de forage. Mais le contexte climatique actuel provoque la fonte des glaces et facilite l’accès à ces richesses. Chaque année, cette menace se fait de plus en plus prégnante. 2020 n’a pas dérogé à la règle. Le président Américain sortant, Donald Trump, a autorisé, en novembre de cette année, la vente de concessions pétrolières dans une zone naturelle protégée d’Alaska, refuge d’espèces menacées. L’arrivée de grandes compagnies exploitantes a modifié le paysage local, laissant apparaître de grandes mines à ciel ouvert, des ouvrages de transport pour les hydrocarbures ou des modifications sur les cours d’eau. Malgré les efforts des associations pour protéger ces espaces, la majorité des gouvernements occidentaux sont restés aveugles et sourds face à la situation.


Aujourd’hui, les populations autochtones craignent pour leurs terres. Des accords existent avec les gouvernements, mais les deux parties ne partagent pas la même vision de cet espace. Ces populations redoutent la pollution des eaux et de l’air, la perte de sanctuaires sacrés et la disparition des animaux. Les gouvernements, eux, promettent des terres intactes, en compensation, et des emplois et subventions sans jamais prendre en compte l’héritage traditionnel. Surtout que les recours en justice, tentés par les représentants de ces communautés, échouent bien souvent, face à des gestionnaires qui se cachent derrière la protection des protocoles d’évaluations environnementales. Des données qui se concentrent sur les aspects géophysiques et chiffrables des impacts, non sur les conséquences morales et symboliques que subissent les autochtones. Certaines compagnies vont même jusqu’à utiliser l’image des Inuits à des fins publicitaires tout en ostracisant leur culture. Pour ces communautés, cette situation est perçue comme ambivalente. D’un côté, elles rejettent cette industrie qui nuit à leur environnement, tout en ayant besoin des emplois ouverts par les mines. Par ailleurs, le manque de représentants, pouvant porter leurs voix au sein des pouvoirs publics, empêche ces communautés de s’exprimer à plus grande échelle. Bien qu’ils bénéficient de l’appui d’Organisations mondiales, leurs problématiques restent encore peu racontées dans les médias. Les peuples autochtones du grand nord pourraient un jour disparaître de la même manière qu’ils ont vécu : silencieusement, loin de tout et ignorés du reste du monde. Emportant avec eux toute une culture, des traditions et un mode de vie si spécifique.

Bibliographie :

GARCIN, Thierry, (2014), « Où en est la course à l’Arctique ? », Revue internationale et stratégique, n°95, p. 139-147.

GARCIN, Thierry, (2015), « Les logiques des puissances riveraines en Arctique », Revue défense nationale, n°783, p. 51-55.

GEORGES, Damien, (2016), « L’Arctique : entre changement climatique, développements économiques et enjeux sécuritaires », Géoéconomie, n°80, p. 85-96.

HANNE, Hugo, (2014), « Les enjeux géopolitiques et géoéconomiques de l’Arctique pour l’US Navy », Géoéconomie, n°72, p. 151-163.

LASSERRE, Frédéric, (2015), « La géopolitique de l’Arctique : sous le signe de la coopération », in GEMENNE, François, L’enjeu mondial, Paris, Presses de Sciences Politiques, p. 227-232.